vendredi 14 mars 2008

Grandes manœuvres à Gandrange

Trop de sauveteurs vont-ils tuer le sauvetage ? Un mois après la visite tonitruante de Nicolas Sarkozy à l’usine de Gandrange, en Moselle, que la direction du groupe ArcelorMittal souhaite amputer de la moitié de ses effectifs, c’est au tour de Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT, de venir aujourd’hui sur les terres de la sidérurgie agonisante. Un hasard de calendrier, explique-t-on côté cégétiste, mais un heureux hasard, puisque c’est ce matin, précisément, que se tient le comité d’entreprise devant se prononcer sur le contre-projet syndical pour sauver l’usine.

Mais entre l’énergique Président, l’encombrant secrétaire général de la CGT, et la pluie de médias qu’attirent ces déplacements de Parisiens, les autres syndicats ont vu rouge. Par peur de n’être pas entendus, entre une éventuelle déclaration présidentielle cette semaine et la venue de Thibault aujourd’hui, la CFDT et la CGC ont décidé de dévoiler, avec vingt-quatre heures d’avance, le contre-projet syndical, issu du cabinet d’expertise Syndex, «dûment mandaté par le Comité d’entreprise [CE]». «On n’a pas le droit de le faire, mais tant pis. Si on ne disait rien, on se serait fait manger par la CGT», expliquait hier un syndicaliste de la CGC.

Formation. Les deux syndicats ont donc réuni, hier, des journalistes dans un restaurant proche de l’usine, dont le nom a été tenu secret jusqu’au dernier moment. Ce plan du comité d’entreprise est destiné à contrer les 600 suppressions d’emplois envisagées par le PDG Lakshmi Mittal. Il se veut avant tout modeste. A la différence du projet de la CGT, qui avance le chiffre de 140 millions d’euros d’investissements pour sauver l’usine, les deux autres syndicats proposent de s’en tenir à 40 millions pour remettre le site en état, et 5 millions pour la formation des jeunes embauchés, dont le manque d’expérience serait une des premières causes de déclin du site. Un projet «simple et efficace», selon Edouard Martin, élu CFDT au comité d’entreprise européen, qui vise à l’amélioration des infrastructures existantes, l’augmentation de la production, la formation en tutorat pour les jeunes et le recentrage de la production sur quatre métiers. «Avec ce scénario, l’expert de Syndex dit que le site peut revenir à l’équilibre en 2009», explique Pierre-Claude Sutter de la CGC.

Reste que le projet CFDT-CGC, même dévoilé en avant-première, va devoir affronter la concurrence. Tout d’abord celle du plan initial de la direction, qui n’est autre que de fermer l’acierie et le train à billettes (cylindres de métal), pour ne conserver que le laminoir et le centre de recherches, entraînant la suppression de 595 emplois sur 1 100. «Un plan rédigé, uniquement à charge, par les dirigeants allemands du groupe, pour récupérer la production dans leur pays, sur leur site de Duisburg, accuse Edouard Martin. Pour preuve, dans leurs projections financières, ils se sont basés sur un prix de l’électricité issue du privé, donc très cher, alors qu’ArcelorMittal est revenu au tarif EDF. La différence, c’est près de 8 millions d’euros.»

Plan B. Deuxième concurrent : la CGT, donc, qui a sorti son propre plan, le 5 mars, préconisant d’injecter entre 130 et 142 millions d’euros, notamment pour la construction d’un nouveau four, tout en faisant appel à un éventuel repreneur. Elle reconnaît aujourd’hui que son projet n’est qu’un plan B, à faire valoir en cas de refus du plan du CE par la direction.Troisième acteur : le président de la République himself, venu le 4 février proposer l’aide improbable de l’Etat, «soulevant de grands espoirs», selon un cédétiste, avant de provoquer «une grosse déception, car les gens d’ici n’ont toujours rien vu venir». Reste la piste d’un éventuel repreneur extérieur. Mais outre que Mittal n’est pas vendeur, «nul industriel ne s’est déclaré officiellement pour l’instant», explique Edouard Martin. Bref, entre les Allemands, la direction, la CGT et l’Elysée, le projet officiel du comité d’entreprise essaie de se frayer un chemin. Il sera fixé sur son sort le 28 mars.

Envoyé spécial à Gandrange LUC PEILLON
Libération: vendredi 14 mars 2008

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