jeudi 14 février 2008

Mittal veut les laminer


Les salariés de Gandrange n’ont pas attendu Nicolas Sarkozy pour tenter de sauver leur usine. Parmi eux, des chrétiens s'engagent dans la lutte.Mittal veut les laminer
par Cyrille Gonzalves (Article de Témoignage chrétien du 14 février 2008)


Une forme sombre et immense perce à travers l’épais brouillard qui entoure la vallée de l’Orne, en Moselle. Richemont, Boussange, Bévange, Gandrange : depuis 1965 un chapelet de petites villes regarde avec respect l’aciérie qui barre leur horizon. L’usine ArcelorMittal de Gandrange est un immense complexe qui s’étale sur plusieurs kilomètres. Mais ce vaisseau amiral, fierté de générations de sidérurgistes lorrains, est menacé depuis l’annonce de la direction du groupe ArcelorMittal, le 16 janvier 2008 : l’aciérie et le TAB (Train à billette, où s’effectue le laminage pour la fabrication de cylindres en métal) seront fermés en 2009. Seul le laminoir et le centre de recherche seront conservés. Conséquence : 595 suppressions d’emplois sur un effectif total de près de 1 108 personnes.L’indignation et le désarroi des salariés, des habitants, des élus, de toute une région, Michel Toussaint les comprend et les partage. Ce Messin de 69 ans a travaillé sur le site de Gandrange jusqu’en 1989, année de son départ à la retraite. Cet homme discret et authentique milite au sein de l’Action Catholique Ouvrière (ACO) depuis 1965. Un engagement qui est allé de pair avec une activité syndicale à la CFDT. Chrétien engagé, il refuse de voir mourir un site si important pour tout un bassin de population. Cette usine, il ne l’a finalement jamais vraiment quittée. « Depuis mon départ à la retraite, je suis resté en lien constant avec les anciens copains de Gandrange et de la CFDT » confie-t-il.

« C’est mon usine »

Ce jeudi 7 février, Michel a rendez-vous avec deux amis, Yves Wagner et Jacky Bernard. Tous deux sont d’anciens salariés de Gandrange depuis peu à la retraite. Jacky a été durant 12 ans secrétaire général du comité d’entreprise, son fils travaille sur le site. Comme Michel, ils ont l’aciérie dans le cœur. « C’est mon usine, lâche Yves, j’y ai passé la plus grande partie de ma carrière. J’y retourne presque tous les jours pour voir les copains. » En 1982, lors de l’annonce du deuxième plan acier qui prévoyait la suppression de nombreux emplois sidérurgiques, ils s’étaient tous trois battus pour défendre l’avenir de leur profession. Manifestations à Paris, blocage d’une autoroute, « opérations coup-de-poing » rigole Yves. Ils en étaient, et s’en souviennent avec fierté. Au plus haut de son activité, la sidérurgie employait 15 000 personnes dans la vallée de l’Orne. Aujourd’hui ils ne sont plus qu’un petit millier, tous à Gandrange.
C’est ce dernier bastion qui est mis en péril par la décision de Lakshmi Mittal. Le milliardaire indien avait racheté le site en 1999 pour 1 franc symbolique. Jacky Bernard se souvient que la méfiance était de mise parmi les syndicats. « Il a fallu apprendre à le connaître, on ne savait pas trop d’où il venait. Dix ans avant il n’était même pas très connu dans le milieu sidérurgique. Un premier indice de ses méthodes de gestion nous avait été donné lorsqu’il avait annoncé la fermeture d’une usine à Cork, en Irlande. Il n’avait pas négocié. Aujourd’hui l’histoire se répète, il fait ce qu’il veut quand il veut. » Le plan de restructuration de la direction d’ArcelorMittal prévoit 600 suppressions d’emplois sans licenciements secs. Les départs à la retraite, une centaine de postes, ne seraient pas remplacés. Le reste des salariés serait reclassé dans d’autres sites du groupe. Un déracinement pour des centaines de familles. Resteraient 300 emplois maintenus sur le site, mais pour combien de temps ? L’inquiétude gagne aussi les salariés des entreprises sous-traitantes. Une dizaine d’entre elles sont implantées directement sur le site, elles sont les plus menacées.Porte Ouest du site ArcelorMittal. L’ancienne guérite des agents de sécurité est recouverte de tracts de l’intersyndicale. Un tag apposé sur la plaque de l’entrée du site est sans équivoque : « Non à la fermeture. » Trois jours plus tôt, le président de la République s’est déplacé en personne pour venir rassurer les salariés. Dans la grande halle de la coulée continue, Nicolas Sarkozy s’est engagé à mobiliser l’argent public pour sauver Gandrange. L’État serait prêt à prendre en charge des investissements pour maintenir l’aciérie en activité. L’un est venu souffler le chaud, l’autre souffle le froid. Dès le lendemain, la ministre de l’Économie contredit le président. Lors d’une émission radiophonique, Christine Lagarde explique que « l’État ne peut forcer un industriel à investir. On n’investit pas à sa place » (RTL, mardi 5 février, à 7h50). Inquiétantes contradictions.

Espoir et méfiance

Face à l’aciérie, au bord de la route qui longe le site de Gandrange, une maison à la façade grisâtre abrite les locaux des syndicats. Depuis les premières rumeurs jusqu’à l’annonce officielle du projet de restructuration, l’intersyndicale CFE/CGC, CGT et CFDT fait front. Après la visite du président de la République et les doutes exprimés par la ministre de l’Économie, les sentiments oscillent entre espoir et méfiance. « La visite de Nicolas Sarkozy a fait du bien, c’est un signe fort. Reste à savoir ce qu’il va pouvoir faire… », constate Thierry Tavoso représentant CFE/CGC. Le président n’a pas les mains libres. Les règles européennes en matière de concurrence peuvent autoriser un État à aider une entreprise en difficulté. Mais comment penser que le groupe ArcelorMittal, qui devrait dégager près de 8 milliards d’euros de bénéfices pour l’année 2007, entre dans cette catégorie ? Les syndicats ont conscience des limites de la promesse présidentielle, mais ils veulent y croire. « Faire payer le contribuable pour un groupe qui dégage des milliards de bénéfices : oui, c’est difficile à envisager. Mais à la limite ce n’est pas notre problème, notre problème c’est de sauver Gandrange », assène Thierry Tavoso.Depuis la fenêtre de son bureau, Xavier Phan Dinh aurait eu, une vingtaine d’années plus tôt, une vue imprenable sur une usine. Aujourd’hui c’est un terrain vague qui s’offre au regard de ce représentant CGT au comité européen du groupe ArcelorMittal. Il veut se battre pour que Gandrange ne connaisse pas le même sort. « Dommage que vous n’ayez pu entrer dans l’aciérie, lance-t-il, il faut voir ces gars qui travaillent. Ils aiment ce qu’ils font, ils sont fiers de faire de l’acier. » Pour lui la décision de la direction est illogique : « Ils sont prêts à mettre 20 millions d’euros pour la fermeture. Et le coût social, l’ont-ils seulement calculé ? Au lieu de lâcher de l’argent pour fermer un site, il vaudrait mieux investir pour que ça tourne. »

Le soutien des chrétiens

Dans une région durement frappée par les restructurations industrielles au cours des dernières décennies, la mobilisation est forte pour empêcher la fermeture de Gandrange. Chacun agit à son niveau, comme Michel. « J’essaye de transmettre le maximum d’informations au sein de l’ACO sur ce qui se passe à Gandrange, explique-t-il gêné, car il refuse de se mettre en avant. Nous sommes une dizaine d’équipes de militants sur le secteur de Metz. Chacune est constituée de chrétiens engagés dans des milieux syndicaux et associatifs différents. Ensemble nous partageons notre foi, nos expériences. Chacun d’entre nous essaye de prendre ses responsabilités dans son cadre de vie et de travail pour porter la notion de respect de l’être humain. » La solidarité de l’ACO avec les salariés et les syndicats du site de Gandrange est totale. Une action discrète mais réelle. « On participe à tous les rassemblements de soutien pour Gandrange. On a rédigé des communiqués pour témoigner de la solidarité des chrétiens, certains ont été repris dans la presse locale. Il est nécessaire que l’on s’exprime lors d’événements aussi cruciaux pour la vie de notre région. » Samedi 9 février, un rassemblement se tenait devant la porte ouest de l’aciérie. Comme près d’un millier de personnes, Michel est venu pour répondre à un seul mot d’ordre : Gandrange doit vivre.


Pourquoi fermer Gandrange ?

Pour justifier la fermeture de l’aciérie de Gandrange, la direction d’ArcelorMittal avance des arguments économiques. Gandrange ne serait pas rentable, notamment par la faute d’un four électrique trop gourmand en énergie. L’aciérie a affiché 30 millions d’euros de pertes en 2007 malgré une production de 930 000 tonnes d’acier conforme au plan prévisionnel. Daniel Soury Lavergne, le directeur d’ArcelorMittal France, considérait le 16 janvier lors de l’annonce du plan de restructuration que les prix de revient à Gandrange étaient trop élevés.
Pour les syndicats, les arguments de la direction ne passent pas. Ils dénoncent l’absence d’investissement depuis la reprise du site en 1999 et la désorganisation qui handicape l’usine. Si Gandrange va mal, la faute incombe d’abord aux dirigeants, selon Thierry Tavano de la CFE/CGC : « La non-rentabilité est pratiquement voulue par la direction. Le carnet de commandes que l’on nous donne est très difficile à réaliser. » La gamme de produit dévolue à Gandrange ne serait pas adaptée à ses capacités techniques, d’où la difficulté de répondre aux objectifs. Autre point noir : la formation. Le départ à la retraite de centaines d’ouvriers expérimentés suite à la loi Fillon a été mal négocié. Ils n’ont pas eu le temps de transmettre leur savoir-faire à ceux qui les ont remplacés. « Il faut se poser les bonnes questions, constate Xavier Phan Dinh de la CGT. Celle de la formation aux postes de travail est cruciale si on veut maîtriser le fonctionnement de l’aciérie. »
Les syndicats ont la certitude que Gandrange peut être viable. Ils travaillent en ce moment à l’élaboration d’un contre-projet industriel. Il sera présenté à la mi-mars à la direction qui rendra son avis le 4 avril. « Si ce plan n’est pas appuyé par l’État, on ne se fait pas beaucoup d’illusions sur la réponse de la direction » explique Thierry Tavano.
Autre question en suspens, la piste d’un éventuel repreneur qui maintiendrait l’activité du site. Les syndicats de Gandrange n’ont pas tous la même position sur le sujet. Pour la CFDT et la CFE/CGC, il serait dangereux de sortir du groupe ArcelorMittal. L’incertitude qu’implique la reprise du site par un nouvel investisseur les inquiète. Le maintien au sein du groupe actuel offre certaines garanties. Si ArcelorMittal confirme sa décision de fermeture, les salariés pourront au moins bénéficier de reclassements dans d’autres usines du groupe. Pour la CGT, si un nouvel investisseur permet de maintenir les emplois sur le site de Gandrange, l’aventure mérite d’être tentée.

8 commentaires:

Anonyme a dit…

Pour le contre projet nous avons le soutien des salariés, des élus, des pouvoirs public, si maintenant nous avons en plus le soutien de DIEU par les chrétiens. Il ne manque plus que celui de SHIVA et MITTAL aura du mal à mettre en oeuvre son projet!Moi je suis Athé mais pas sectaire alors tous les soutiens son les bien venu!

Anonyme a dit…

Bravo mon gars, mais n'oublie pas une phrase qui ma plu et qui à été dite à plusieurs reprises par la CFDT certe et je n'en suis pas, mais pleine de sagesse! Rappele toi dans les rassemblement au Luxembourg et le 9 février " LA TETE DANS LES ETOILES, LES PIEDS SUR TERRE!"

Anonyme a dit…

Comme je peut le constater de nouveau, la CGT n'arrive pas à sortir du pathétique et du misérabilisme quand comprendront t'ils que GERMINAL c'est fini, que STALINE est mort! C'est pas faute de le dire à leurs militants à l'aciérie que je respecte par ailleurs. Quans à l'idée de faire venir un repreneur, elle va à l'encontre des aciéristes , je vous peut vous l'assurer! C'est vrai où avais-je la tête, l'avis des travailleurs ne compte pas pour eux, même si il est partagé par certains de leur militants!

Anonyme a dit…

Je travaille au LCB depuis prés de trente ans. J'ai donc vu des conflits, la fermeture du TAF de Rombas. Mais je voudrais revenir sur le déroulement de ce conflit actuel. Je suis affligé de voir qu'il est traité à coups de kermesse par la CGT qui pour le coup à ressorti la momie de LOPARELLI qui est à la retraite, qui comme à son habitude vient avec des idées de 1984 avec le CODEG dont il est le seul maître, de repreneur, toutes ces idées sont issues d'un esprit malade et sans concertation, si ce n'est que celles de ses portes valises qui sont au nombre de trois ou quatre. Les copain du LCB savent bien où est leur intérêt et heureusement ils vivent avec les idées de 2008 eux!!

Anonyme a dit…

En angleterre, on vient de nationaliser une banque privée. En france, c'est à coup d'aides publiques qu'on incite les gens à créer des entreprises privées. Par contre, il est inconcevable qu'au sein de l'union européenne et au nom du libéralisme que l'état injecte de l'argent pour le site Mittal qui fait bosser toute la vallée!

Anonyme a dit…

Ce matin sur france info (19/02/08), on annonçait l'augmentation des prix du minerai de fer et donc de l'acier, les affaires étaient florissantes en 2007 pour Mittal et 2008 s'annonce bien si ce n'est pas mieu que 2007!

Sitting Bull a dit…

"Anonyme a dit...

Ce matin sur france info (19/02/08), on annonçait l'augmentation des prix du minerai de fer et donc de l'acier, les affaires étaient florissantes en 2007 pour Mittal et 2008 s'annonce bien si ce n'est pas mieu que 2007!"

Vous aurez sans doute remarqué que nos grandes entreprises, celles dont les patrons se sont augmentés de 20 à 40%, (ces patrons si talentueux qu'on ne peut pas faire autrement que de les payer grassement autrement sinon ils se cassent à l'étranger!- Lolotte PARIZOT dixit!), annoncent des bénéfices record comme chaque année...
Alors faut pas s'en faire pour les enfants de Monsieur MITTAL, il pourra encore leur acheter des yaourts pour le dessert!

Unknown a dit…

un conseil pour la reconversion : faire de la production de produits acier environnementalement corrects (cocottes casseroles poeles cocottes minutes etc...) . Il y a un marché et expansion et on ne trouve que des produits allemands de qualité .