mercredi 18 janvier 2012

Sommet social

Intervention de François Chérèque

Mercredi 18 janvier 2012

Elysée

Monsieur le Président,
Monsieur le Premier ministre,
Mesdames et Messieurs,

Quand la CFDT a proposé la tenue d’un sommet social, il y a cinq mois, ce n’était pas par fantaisie ou pour occuper l’espace médiatique de la fin d’été. Nous étions alertés par nos militants, au plus près des préoccupations des salariés et des réalités des entreprises, que nous étions loin d’être engagés dans une sortie de crise, contrairement aux propos officiels de l’époque. Des signes se manifestaient que la crise se renforçait, que les CDD et les intérimaires n’étaient plus réembauchés, que les difficultés économiques revenaient au premier plan, aggravées par les difficultés financières des collectivités territoriales et par la perspective d’un plan de rigueur qui allait aggraver le ralentissement de la croissance en freinant son principal moteur : la consommation.
Avec l’expérience de la crise de 2008, nous étions donc persuadés que des mesures spécifiques en direction des salariés devaient être prises, en allant plus loin et avec plus de réactivité.
Malheureusement, les semaines et les mois qui ont suivi nous ont donné raison. Le chômage a repris sa forte progression, les demandeurs d’emploi restent au chômage de plus en plus longtemps, et les perspectives très faibles de croissance n’augurent rien de bon sur les chiffres du chômage dans les prochains mois.

Pour la réactivité, c’est raté, il a fallu attendre cinq mois, mais il n’est jamais trop tard pour se mettre autour d’une table en vue de prendre des mesures d’urgence pour les salariés en difficulté, et c’est dans cet état d’esprit que la CFDT participe à ce sommet social.

Nos propositions

Nous avons une série de propositions de mesures, que nous souhaitons inscrire dans un cadre cohérent, et dans un pilotage coordonné entre l’Etat, les organisations syndicales et patronales.

Garder les compétences
La priorité dans cette période de crise, est de garder les compétences dans l’entreprise, d’abord pour limiter le chômage, mais aussi pour que les entreprises soient prêtes à répondre à la demande quand la reprise économique se fera sentir, et pour améliorer l’employabilité des salariés qui seront amenés à se reconvertir.
Cela passe par une politique de facilitation et d’accélération du dispositif de chômage partiel, pour que les entreprises en crise – les grandes comme les TPE-PME – puissent le développer plutôt que de licencier leurs salariés.
Les partenaires sociaux ont pris leurs responsabilités en la matière, en parvenant à un projet d’accord prolongeant les mesures de chômage partiel de 2009 et ajoutant des simplifications du dispositif.
Cet accord contient une adresse au gouvernement, à laquelle nous souhaitons une réponse rapide, et qui mentionne une incitation à la formation pendant les périodes de chômage partiel.
La France a consacré 610 M€ en 2009 pour le chômage partiel. L’Allemagne, 6 milliards d’euros. Il faut mettre le paquet sur cette mesure, tant sur le plan du financement que sur le plan de la simplification – une unification des dispositifs serait à cet égard indispensable.

Aider les chômeurs, en particulier les plus fragiles
Je l’ai évoqué en introduction, les premières victimes de la crise sont les salariés en CDD ou en intérim. L’accord interprofessionnel du 31 mai dernier, créant le contrat de sécurisation professionnelle pour les licenciés économiques, prévoit une expérimentation aux salariés en CDD, intérim ou contrats de chantier touchés par la crise dans des bassins d’emploi choisis par le comité de pilotage. Cette expérimentation ne portera que sur 2 500 bénéficiaires. Nous demandons une enveloppe « crise » qui permette une prise en charge de 10 fois plus de bénéficiaires.
Les jeunes sont particulièrement touchés par le chômage. Les partenaires sociaux ont pris leurs responsabilités à leur égard, en produisant 4 accords, qui renforcent leur accompagnement par les missions locales, Pôle Emploi, l’Apec, et la mise en place d’un coup de pouce pour les jeunes qui démarrent leur vie professionnelle. Nous demandons que l’Etat participe à cet effort en doublant les moyens déployés par les partenaires sociaux.
Enfin les chômeurs les plus éloignés de l’emploi doivent pouvoir bénéficier de contrats aidés. Mais nous refusons la logique comptable qui motive habituellement l’Etat quand il développe ce type de contrats : celle de faire baisser les chiffres du chômage. Pour la CFDT, les contrats aidés sont une aide à l’insertion professionnelle durable. Nous proposons donc qu’une concertation s’engage sur le développement des contrats aidés, pour que ceux-ci soient véritablement un instrument d’accompagnement social et professionnel.

Aider le service public de l’emploi à assumer sa mission
Le service public de l’emploi est fortement sollicité dans la période. Avec la hausse continue du chômage, il est indispensable que les effectifs de Pôle Emploi soient renforcés. Qu’on en juge : 1,2 million de demandeurs d’emploi en catégorie A B et C en plus depuis mi-2008, soit + 28 %. Pour les accompagner, les effectifs de Pôle Emploi ont été certes renforcés dans un premier temps, mais ont baissé en 2011 et s’annoncent stables en 2012. Il faut embaucher 2 000 personnes pour faire face à l’afflux de chômeurs, et mettre en œuvre efficacement la convention Etat-Unedic-Pôle Emploi.
Parallèlement, la formation des demandeurs d’emploi doit être renforcée, en particulier sur les compétences transférables, dont la lutte contre l’illettrisme. Pour cela des plateformes locales Etat-Région-Pôle emploi, s’appuyant sur l’Afpa, doivent être mises en place.
Nous appelons aussi le gouvernement à être cohérent : au moment où la formation des demandeurs d’emploi et l’aide à l’insertion des jeunes doit être priorité, il est impensable que l’Etat se permette de ponctionner le Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels (FPSPP), dont les ressources sont affectées à ces actions.

Etre solidaire des demandeurs d’emploi seniors, par le rétablissement de l’AER
Depuis le 1er janvier 2011, suite à la suppression de l’Allocation Equivalent Retraite (AER), aggravée par le recul de l’âge de la retraite, de nombreux demandeurs d’emploi seniors se retrouvent dans une situation où ils devront vivre de longs mois avec les minima sociaux alors qu’ils ont cotisé le nombre de trimestres requis, mais n’ont pas l’âge requis pour percevoir leur pension de retraite.
Le contexte ne permet pas sérieusement de penser que l’emploi des seniors va s’améliorer prochainement. Et la mise en place de l’allocation transitoire de solidarité ne règle le problème que pour un nombre très limité de ces demandeurs d’emploi. La CFDT demande donc le rétablissement de l’AER à compter du 1er janvier 2011 aux conditions prévalant en 2010.

Les annonces gouvernementales
J’en viens maintenant aux mesures que le gouvernement semble s’apprêter à annoncer, qui ont été distillées dans la presse dans les dernières semaines et sur lesquelles nous avons été interpellés par le ministre du Travail.

Le financement de la protection sociale
Sous prétexte d’augmenter la compétitivité des entreprises dans cette période difficile, le débat sur l’instauration d’une TVA dite « sociale » a été lancé par le gouvernement. L’augmentation de la TVA serait parallèle à une baisse des cotisations patronales des entreprises. Les recettes de cette hausse de TVA seraient censées abonder les caisses des organismes de protection sociale.
S’il s’agit de débattre de financement de la protection sociale, la CFDT y est prête. Elle le revendique depuis longtemps. Nous proposons depuis plusieurs années un transfert des cotisations sociales finançant les risques universels (maladie et famille) vers une contribution plus large que les seuls revenus du travail.
Mais nous sommes fermement opposés à un transfert sur la TVA. Que les produits soient importés ou élaborés en France, ce sont les consommateurs en France qui paieraient le surcroît de TVA, et ce d’autant plus fortement proportionnellement à leurs revenus, que ceux-ci sont faibles. L’augmentation de la TVA se traduirait donc par une réduction plus forte du pouvoir d’achat des ménages aux revenus les plus faibles, plus de deux fois supérieure à celles que connaîtraient les revenus les plus élevés selon nos calculs.
Les Français les plus modestes ont besoin, au contraire, d’obtenir des réponses positives à leurs difficultés, sauf à laisser ce soin aux populistes de tous bords.
Non seulement cette mesure serait d’une injustice criante, mais elle ne garantirait pas l’affectation des recettes à la Sécurité sociale. La TVA « sociale » n’est donc pas la réponse appropriée.
Vous faites de la TVA « sociale » un argument en faveur de la compétitivité de nos entreprises, par le jeu d’une baisse parallèle des cotisations sociales patronales. Là encore, écoutez les partenaires sociaux : nous avons, avec le patronat, établi un diagnostic commun sur les questions de compétitivité. Le retard de compétitivité des entreprises françaises ne peut pas être uniquement vu à travers le prisme du coût du travail. Nous avons démontré que ce retard est avant tout dû à d’autres facteurs : défaut d’investissement, de recherche, de formation…

Pour autant la CFDT est d’accord pour transférer des cotisations avec un outil fiscal, considérant que les prestations universelles (maladie, famille, perte d’autonomie) ne doivent pas être financées par les seuls revenus du travail.

Notre choix se porte sur la CSG, impôt affecté, et qui doit être modulé de manière à obtenir un coût nul pour les salaires. Ce transfert sur la CSG serait d’autant plus juste que cette cotisation concerne aussi les revenus financiers.
Nous pensons que cette solution doit être creusée, car selon le montant du transfert, elle est apte à créer un choc de compétitivité bénéfique dans la période. Un transfert important des cotisations sociales sur la CSG, compensé au niveau salarial, devrait permettre de dégager des marges de manœuvre pour redistribuer les gains sur des hausses de salaire, l’investissement, la recherche-développement, la formation, etc. en fonction de l’entreprise et de la réalité du secteur professionnel.
Par exemple, 10 points de cotisations employeur transformés en 7 points de CSG sur l’ensemble des revenus, nécessiterait 8 points d’augmentation du salaire brut pour être indolore pour le salarié. Dans ce cas, le coût du travail baisse de 2,7 %.
Si on exclut les revenus de remplacement (chômage, retraite) de l’augmentation de la CSG, une même baisse de 10 points de cotisations employeur conduirait à augmenter la CSG de 8 points, et le salaire brut de 9 points pour rester indolore. Dans ce cas le coût du travail baisserait de 1,5 %.

La CFDT propose que le Haut Conseil au financement de la protection sociale soit saisi rapidement du sujet, qu’il l’étudie dans des délais raisonnables pour laisser le temps des auditions et de la réflexion, en tenant compte de la situation des retraités, des chômeurs et des fonctionnaires, et qu’il soit en mesure d’annoncer des propositions concrètes dès le mois de mars, pour une mise en œuvre dès le début de la prochaine législature.

Le temps de travail et les accords compétitivité-emploi
Nous ne sommes pas opposés à ce que la situation difficile de certaines entreprises puisse conduire à des négociations qui permettent de moduler le temps de travail en vue de sauvegarder l’emploi, ce qui, du reste, est déjà pratiqué dans certaines entreprises. Notez que la RTT a permis une nouvelle organisation du travail, comprenant la modulation horaire et les comptes épargne-temps, qui a été utilisée à fond pendant la période de crise économique récente, permettant ainsi d’éviter de nombreux licenciements. C’est aussi la raison pour laquelle nous plaidons pour l’augmentation du chômage partiel.
Le gouvernement nous a interrogés sur une déréglementation du temps de travail, en vue de donner les moyens aux entreprises de modifier le temps de travail plus facilement, sans modification du contrat de travail.

Nous ne pouvons pas accepter ce cas de figure.

La comparaison faite sur ce sujet avec l’Allemagne ignore les conditions de sa réalisation : co-détermination sur l’avenir de l’entreprise, à égalité de voix employeurs-syndicats ; objectifs de compétitivité et d’emplois sur le long terme (5 à 10 ans) ; filières industrielles plus solidaires ; et dans les situations de crise, utilisation massive du chômage partiel… Le contexte n’est pas propice pour accepter cette évolution aujourd’hui. Par contre, la négociation sur le partage de la valeur ajoutée et les IRP peut et doit permettre d’étudier comment nous pouvons évoluer sur ce sujet en France.

En conclusion, la CFDT est venue déterminée à ce sommet social – et non « de crise » -, avec des propositions, mais n’acceptera pas une évolution précipitée de notre système social, qui aggravera la situation déjà peu enviable de beaucoup de salariés, sans rendre pour autant nos entreprises compétitives. La perte de notre « triple A », dont on ne sait plus si elle est grave ou pas, ne doit pas autoriser le gouvernement à une remise en cause de notre modèle social.

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