12/03/2008Par Auteur: Mathieu Magnaudeix
Cette semaine doit être décisive pour l'avenir de l'usine ArcelorMittal de Gandrange (Moselle) dont la fermeture partielle a été annoncée en janvier par la direction du premier sidérurgiste mondial. Selon notre enquête, la CGT négocie avec d'éventuels repreneurs, et le groupe Mittal envisageait depuis déjà deux ans de se désengager du site, après avoir interrompu tout investissement significatif.
A la fin de la semaine, les salariés d'ArcelorMittal Gandrange en sauront peut-être un peu plus sur leur avenir. Après l'annonce, mi-janvier, de la fermeture partielle de cette usine qui emploie un millier de salariés dans la vallée de l'Orne, à une trentaine de kilomètres de Metz, le rapport de l'expert-comptable doit être présenté à la direction de l'usine vendredi 14 mars. Le jour même, le secrétaire général de la CGT Bernard Thibault est attendu sur place où il doit rencontrer le patron du site, Bernard Lauprêtre.
Depuis l'annonce de cette fermeture, le sort de Gandrange a pris un tour très symbolique. Le 4 février, le président de la République s'était rendu sur place. Invoquant devant les salariés le sauvetage d'Alstom qu'il avait mené quand il était ministre de l'économie, Nicolas Sarkozy avait alors affirmé que l'Etat était "prêt à prendre en charge tout ou partie des investissements nécessaires (...) quel que soit le propriétaire, car notre objectif c'est de garder des usines ouvertes en France (...) Soit nous arrivons à convaincre Lakshmi Mittal, le patron d'ArcelorMittal, et nous investirons avec lui, soit nous trouvons un repreneur, et nous investirons avec lui".
Après cette visite, Lakhsmi Mittal avait accepté d'étudier le rapport que Syndex, cabinet d'expertise proche de la CFDT, présentera le 14 mars. De son côté, la CGT, qui ne se fait guère d'illusions sur les suites qui seront données à ce rapport, a rompu l'intersyndicale et mandaté son propre expert, EVS, un bureau dirigé par Didier Guyot, ancien collaborateur mais toujours associé d'Alpha-Secafi, le cabinet d'expertise proche de la CGT. La semaine dernière, EVS a présenté aux journalistes son propre rapport, dans lequel il prétend que le site de Gandrange est viable. Mais à condition d'investir au moins 150 millions d'euros.
Romain Zaleski, repreneur déclaré
Avec la bénédiction de l'Elysée, les responsables locaux de la CGT, qui ne veulent pas dépendre du bon vouloir de Lakshmi Mittal, ont par ailleurs contacté des repreneurs potentiels. Parmi les candidats pressentis, Ascométal (filiale du russe Severstal), l'Allemand Saarstahl, concurrent direct de Gandrange, et le sidérurgiste Corus (groupe Tata Steel). Selon nos informations, des représentants de la CGT ont rencontré en fin de semaine dernière le patron du site lorrain de Corus. Mais une source proche de la direction, tout en refusant de commenter l'information, rappelle que "les axes prioritaires de Corus sont en Asie et en Europe de l'est".
Le seul candidat déclaré est Romain Zaleski, patron de l'aciériste italien Carlo Tassara. La semaine dernière, "Monsieur Z" - son surnom en Italie- a même démissionné du conseil d'administration d'ArcelorMittal pour étudier une reprise du site. Cet abandon de poste ressemble fort à un lâchage en règle : en 2006, Romain Zaleski avait soutenu l'OPA hostile de Mittal contre Arcelor, aux côtés du milliardaire breton François Pinault.
Pour l'instant, Lakhsmi Mittal n'est toujours pas officiellement vendeur. Il lui est, en effet, difficile de céder un site dont il avait fait un modèle au moment de son OPA réussie sur Arcelor. Au printemps 2006, en pleine bataille médiatique et boursière pour prendre le contrôle du numéro un mondial de l'acier Arcelor, Lakhsmi Mittal avait justement convié la presse à Gandrange. Alors quasiment inconnu en France, Mittal avait vanté les mérites de sa propre gestion : plusieurs centaines d'embauches, retour aux bénéfices, hausse de la production... Cette mise en avant du seul site qu'il possédait alors en France avait été largement utilisée par ses communicants pour crédibiliser son offre de rachat d'Arcelor.
Réels, ces faits étaient pourtant partiels. L'usine, bénéficiaire en 2004, est retombée dans le rouge au deuxième semestre 2005. En réalité, depuis qu'il a racheté en 1999 pour un franc symbolique l'établissement à Usinor, l'ancêtre français d'Arcelor, Lakhsmi Mittal a très peu investi. Selon des chiffres communiqués aux syndicats par la direction, les investissements, des réparations pour l'essentiel, n'ont pas dépassé les quelques millions d'euros par an , ce qui a contribué à accélerer l'obsolescence d'un outil industriel déjà pénalisé par une aciérie électrique qui n'a jamais bien fonctionné.
Les embauches massives de jeunes salariés, rendues nécessaires par une pyramide des âges vieillissante, ne se sont pas accompagnées d'un plan de formation à la hauteur. Jean-Claude Sutter, délégué CFE-CGE, chiffre ainsi à 76000 le nombre d'heures de formation qui font défaut. "Selon nos estimations, pour rattraper le retard, il faudrait entre un an et demi et deux ans, à raison de 50 personnes en permanence détachées de la production pour se former", dit-il.
Le projet de restructuration date d'il y a deux ans
Lakshmi Mittal, dès décembre 2005, avait d'ailleurs indiqué à des dirigeants d'Arcelor son intention de restructurer l'usine mosellane. "Un mois avant que Lakshmi Mittal ne lance son OPA sur Arcelor, des dirigeants de Mittal Europe sont venus nous consulter, affirme à Mediapart un ancien cadre d'Arcelor sous le sceau de l'anonymat. Ils voulaient voir avec nous comment arrêter un des laminoirs, le train à fil de Schifflange. Ils avaient en effet lancé la construction d'un outil similaire en Allemagne".
Cette installation, installée de l'autre côté de la frontière au Luxembourg, fait partie intégrante du dispositif industriel de Gandrange. En 2005, elle appartenait à Lakshmi Mittal, mais le personnel était encore sous statut Arcelor, en vertu d'un vieil accord signé en 1993 : les dirigeants de Mittal devaient donc prévenir ceux d'Arcelor avant toute décision. Selon cet ancien d'Arcelor, arrêter ce laminoir revenait en fait à entamer une restructuration du site. "Le laminoir de Schifflange représente près de la moitié de la production de Gandrange, son arrêt aurait eu des conséquences importantes sur l'activité", assure-t-il.
A l'époque, la direction de Mittal avait confirmé à un syndicat luxembourgeois qu'elle envisageait une fermeture. Mais le groupe détenu par Lakshmi Mittal venait déjà, à la grande surprise des dirigeants d'Arcelor, de lancer son OPA hostile, qui allait être couronnée de succès cinq mois plus tard. "C'est l'OPA de Mittal sur Arcelor qui a provisoirement sauvé Gandrange", commente ce dirigeant, par ailleurs dubitatif quant à l'avenir du site.
"Cette usine n'est pas performante, ajoute-t-il. Comment expliquer qu'elle ne gagne pas d'argent - l'usine a perdu 36 millions d'euros en 2007 - alors que les usines similaires d'ArcelorMittal affichent de belles performances? Sa production est insuffisante - moins d'un million de tonnes aujourd'hui-, et trop milieu de gamme." Selon ce très bon connaisseur de l'usine, il faudrait "au moins réduire les effectifs de moitié".
De leur côté, les deux experts, EVS et Syndex, affirment au contraire que le site peut être viable à condition que des investissements massifs soient réalisés : formation, remise de l'outil industriel à niveau (entre 40 et 150 millions d'euros, selon les différents scenarii), réorientation de la production vers de plus grandes séries, refonte du management jugé défaillant. Une fois le rapport présenté, Lakhsmi Mittal aura jusqu'au 3 avril pour dire s'il accepte de suivre ses recommandations. Entre-temps, les salariés de Gandrange espèrent que l'Elysée se sera manifesté. Lors de sa visite, Nicolas Sarkozy n'avait-il pas promis de revenir?
4 commentaires:
que de rebondissement!!!
on en apprend tous les jours
Punaise, il va falloir dire encore merci à MITTAL de nous avoir conservé depuis 2005 si je comprend bien? On lui a déja dit merci en 1999 quand il nous a racheté! Enfin bon, étonnant ce dirigeant qui savait des choses que tout le monde ignorait et qui se dévoile(enfin partielement). je trouve un peu facile aujourd'hui de déclarer cela alors que les risques de trés grosses difficultés et de fermeture étaient annoncés pratiquement à chaque CE en fin d'année ou avant les vacances. D'ailleurs il suffit de lire les comptes rendus de la CFDT et de la CGC qui nous ont toujours informés sur la santé de l'entreprise ( ce sont les seuls d'ailleurs!) ainsi que les revue du CE sur le domaine industriel du Commité d'Entreprise Européen ou le éditos du secrétaire. Sans compter bien sur les synthèseS du cabinet SYNDEX tout au long de ces années. Donc tous les salariés connaissaient trés bien la situation, il n'y a que ceux qui n'ont pas voulu la connaître qui sont surpris par les propos de ce dirigeant! Alors facile de dire aujourd'hui "Je suis l'homme qui a vu l'homme qui a vu l'ours!!!
Les paroles s'envolent, les écrits restent... Avec Internet et la vidéo(motion), ce n'est plus vrai ! Tous ceux qui ont causé dans le poste, eh ben, y a intérêt de ne pas avoir raconter de conneries. sinon, on va pouvoir leur remettre dans la gueule.
Gandrange 2 CC 12 lignes, Sollac 1 CC 1 ligne, on peut se poser pas mal de questions s'il y'a reclassement.
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